samedi 23 octobre 2010

Pourquoi tu m'aimes


" Pourquoi tu m'aimes ? " ... Question à dix mille euros.
Vous préférez l'appel à un ami ou le cinquante-cinquante ? A chaque
fois qu'elle me posait cette question, je la regardais et je réfléchissais.
Quel con ! Je ne savais jamais quoi lui répondre. Alors je lui disais :
" Je t'aime... Parce que je t'aime. "

Elle souriait, m'embrassait dans le cou et me sortait un de ses
habituels " T'es bête. " Et on restait là, moi remettant ses cheveux
derrière son oreille, elle me caressant la nuque.

Ou bien en hiver ! Elle avait froid et je lui passais mon manteau,
comme un vrai gentleman, même si je me les pelais après. Mais
comme je savais qu'elle avait chaud, le reste, je m'en foutais.

Y'avait aussi ses mimiques, quand je faisais un truc bien pour elle.
Elle me regardait dans les yeux. Alors moi, je la regardais aussi.
On restait comme ça, une minute, à se regarder. Yeux verts dans
yeux noirs. Elle esquissait un petit sourire en me disant " merci. "
C'était frais, gêné, touchant. C'était... C'était elle.

Des fois je la titillais. Elle me boudait un peu et me tapait sur l'épaule
jusqu'à ce que ça fasse mal…pour elle. Alors je la prenais dans mes
bras et elle glissait ses mains sous mon pull, et plaquait ses mains
gelées sur mon dos… Elle rigolait.

Quand elle voyait des tulipes dans un jardin, elle était aux anges !
Moi, je trouvais un peu stupide de faire tout un monde pour une fleur.
A croire qu'elle préférait plus les fleurs que moi...
Enfin, je dis ça, mais j'adorais ces moments. Elle. Moi. Et puis plus
rien autour.

Et un jour tout a déconné à cause de l'autre abruti avec sa Renault 21.

On devait se voir pour fêter les trois ans de notre rencontre. Eh oui,
trois ans, on dirait pas ! On s'était donné rendez-vous au café des
Jardins. Elle ne voulait pas trop, j'ai insisté. Je n'aurais pas dû. Je
lui avais acheté une tulipe de chaque couleur et une bague en
argent, que j'avais repérée depuis cinq mois et onze jours.
Elle était cachée dans la tulipe violette.

Comme j'avais dix minutes d'avance, j'ai commandé un chocolat
chaud.
J'attendais. Tête-à-tête avec mon chocolat chaud.
J'attendais. Tête-à-tête avec mon chocolat froid.
Vingt minutes plus tard, mon téléphone sonne. C'était elle. Elle me
dit qu'elle arrivait et qu'elle avait eu quelques problèmes, mais rien
de grave, qu'elle me raconterait après. Cet " après ", n'est jamais
venu.

J'ai commencé à boire le seul compagnon que j'avais depuis vingt
minutes. Quelques instants plus tard, pendant que je grattais le
sucre au fond de ma tasse, je l'ai vue. Elle avait son long manteau
qu'elle ne mettait que de temps en temps, et son écharpe rouge.
Elle était près du cinéma.
Entre le ciné et le café, y'a une petite route où presque personne
ne passe.

Je m'étais levé et, collé à la vitre, je la regardais. J'adorais quand
elle courait. Je l'adorais aussi. Elle.

Et c'est là que le connard est arrivé.
Moi, collé à la vitre, la regardant ; elle, marchant à grand pas, me
regardant ; et l'autre qui roulait vite. Trop vite.
Il l'a accrochée.
Puis il a continué sa route. Comme ça.

J'ai… J'ai rien pu dire. Rien. J'ai voulu crier, taper contre la vitre,
mais je ne pouvais pas. Les gens sont sortis du café, d'autres
parlaient, et d'autres téléphonaient au Samu ou à je-ne-sais-trop-qui.

J'étais vidé. Impuissant. Anéanti. Seul. Je me suis laissé tomber sur
mon siège… Elle était allongée sur la route avec du monde autour.
Et moi, le seul truc que je trouvais à faire, c'était m'asseoir. Crétin.

Pourquoi je ne bougeais pas ? Pourquoi j'ai pas couru vers elle,
pourquoi je ne lui ai pas dit " ça va aller, je suis là "...
Non. Je restais sur mon siège, comme un idiot de dernière zone...
Pourquoi ? ... Questions auxquelles je n'aurais sans doute aucune
réponse.

Y'a la porte de sa chambre, plus loin, dans le couloir.
Étage cinq, chambre onze. Ses parents sont venus. Les médecins,
les infirmières, tout le monde entrait et sortait de sa chambre. Ils
peuvent pas la laisser seule, merde !
Moi, j'ose même pas entrer... Peur. Peur de qui, de quoi ? De la
voir, sur son lit avec les tuyaux et ce bip-bip ? Peur de pleurer (virilité
quand tu nous tiens...) ? Peur de la voir une dernière fois, parce que
je sais très bien que c'est la dernière fois.

Maintenant qu'il y a moins de monde, je m'aventure. Le bouquet de
tulipes dans la main droite, et la bague serrée dans l'autre poing. Je
m'approche, je pose les fleurs sur une table. J'ouvre sa main. Toute
petite. J'y dépose sa bague dedans. Je la referme. Je lui caresse les
cheveux. Et je commence.

" Je ne sais pas si tu m'entends, je le souhaite. C'est tout. Tu me
demandais, pourquoi je t'aimais. C'est tellement simple, tellement...
évident, que je n'y ai même pas pensé. J'aurais aimé te le dire en
face. Comme si j'avais besoin d'une Renault 21 pour te le dire ! Je
t'aime parce que tu sens bon, même si ce n'est que du shampooing.
Je t'aime parce que ta tête trouve toujours une place sur mon épaule.
La façon que tu as de m'embrasser fait que tout va bien dans le
monde, qu'il n'y a que toi... et moi. Ici. Là-bas. Ailleurs. J'adore voir
ton numéro qui s'affiche quand tu me téléphones. C'est pour ça que
je mets du temps à répondre... Quand tu souris. Lorsque tu glisses
entre mes bras pour pleurer. Parce que je m'ennuie de toi. Quand
on faisait des projets d'avenir un peu idiots... J'adore la manière
dont tu m'embrasses quand je te dis " je t'aime "... Parce que ta
main trouve toujours la mienne ou que tu as l'air d'un bébé quand
tu dors. Je t'aime car tu as toujours le dernier mot, parce tu as
toujours froid même s'il fait quarante degrés dehors. Je sais très
bien que c'est pour que je te prenne dans mes bras. J'adore quand
tu es jalouse et que tu me questionnes sur tout ou que tu ne me
lâches plus du regard en soirée, au cas où une autre soit un peu
trop près de moi. Lorsque tu dis " tu m'énerves, j'en ai marre ",
alors que je sais très bien qu'après... Ou bien quand tu me dis
" t'es bête ", ou quand tu passes trois heures à te préparer, mais
qu'après je vois que ça valait la peine. Quand tu me dis " je t'aime "
sans prononcer les mots, juste avec le regard... Je t'aime parce
que tu es moi... parce que tu es toi... "

Elle a souri. Un sourire timide. Enfin, je crois. Mais c'est peut-être
moi qui me le suis imaginé. Pendant que je parlais, les bips m'ac-
compagnaient. Je peux pas rester à côté d'elle, alors je lui murmure
" Au revoir ma nymphe, à tout à l'heure. Tu me rejoindras dans le
..couloir, quand tu seras réveillée ? "
Je dégage une mèche de ses cheveux et je lui fais une bise dans le
creux du cou. Je me dirige vers la porte, toujours avec les bips... Je
referme la porte, mais il n'y avait plus de bip-bip, seulement un long
biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip...

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